« Ce qui est intéressant dans l’amour, c’est l’impossibilité », disait Cioran. Il était attaché aux putains, à la civilisation du bordel. Le bordel était pour lui une sorte de temple. Il en parle dans l’entretien qu’il a accordé en 1978 à Ben-Ami Fihman et qui est reproduit dans Cioran avant Cioran, de Vincent Piednoir (éd. Gaussen). Il pensait, comme le poète vénézuélien Juan Sánchez Pelaéz, que, quand on est attaché aux putains, on l’est pour toujours. Le soir même de son mariage, à Paris, avec une jeune Américaine, Pelaéz est sorti dans la rue chercher une putain… Commentaire de Cioran : « J’aurais fait la même chose. Mais il n’y a que nous pour comprendre cela. Pour un Français, c’est incompréhensible… » Cioran parlait volontiers de cette prostituée qui lui avait dit que, chaque fois qu’elle faisait l’amour, elle voyait le cadavre de son mari à côté d’elle… Elle avait ajouté : « Je vois bien qu’il en est de même pour vous ! » Cioran s’extasiait sur son intuition psychologique et concluait en levant les bras : « Ayant connu ça, comment parler d’amour ? Ça n’a plus de sens. »
Roland Jacquard, mi hermano mayor, AQUÍ