En France comme ailleurs, tout mouvement de protestation a en général au moins une exigence : celle d’« être entendu ». Qu’il s’agisse des notaires charentais, des paysans bretons ou des nationalistes végétaliens bulgares contre le nucléaire et pour la cigarette électronique, c’est toujours la même rengaine. Les politiques ne les écoutent pas, l’État est sourd à leurs revendications, ce qui les contraint à faire un usage immodéré du mégaphone, et à défiler en braillant leurs slogans le plus fort possible.
Mais voilà qu’une exception est venue, selon Le Monde, confirmer la règle lundi 23 mars. Les enseignants du lycée Paul Eluard, à Saint-Denis (93), ont préféré ce jour-là « refuser d’être entendus ». Et ce, en signe de protestation contre la visite, justement, d’une délégation d’élus de la République venus « recueillir leur sentiment sur leurs difficultés », dixit la rectrice, suite aux attentats de janvier contre Charlie Hebdo et l’Hyper cacher puis aux refus de respecter la minute de silence. Le monde à l’envers ? Pas dans l’esprit de ces fonctionnaires zélés, pour qui – tenez-vous bien – parler aurait consisté à « cautionner un jeu de dupes et une entreprise idéologiquement réactionnaire ». Encore ! Décidément, ces années 1930 bis n’en finissent pas…
En guise d’entreprise, deux sénateurs étaient en effet venus à leur rencontre dans le cadre d’une commission d’enquête sur « le fonctionnement du service public de l’éducation, sur la perte de repères républicains que révèle la vie dans les établissement scolaires et sur les difficultés rencontrées par les enseignants dans l’exercice de leur profession ». Problème, insurmontable pour nos profs taiseux : cette commission d’enquête, formée à l’initiative du groupe UMP du Sénat, avait préalablement effectué des auditions dont « la tonalité est très conservatrice, tenant l’islam comme un problème » (sic).
Au menu des personnalités louches déjà consultées, entre autres : trois anciens ministres de l’Éducation nationale – Luc Ferry, Luc Châtel et Jean-Pierre Chevènement – mais aussi Alain Finkielkraut, Jean-Pierre Obin, Alain-Gérard Slama ou encore le pilier de Manif pour tous François-Xavier Bellamy. Dommage, donc, pour la sénatrice radicale de gauche Françoise Laborde et son collègue UMP Jacques Grosperrin, estomaqués par le silence revendiqué des enseignants rebelles et des parents d’élèves qui leur faisaient face, dans l’amphi du lycée.
Ceux-ci ont expliqué leur mutisme par un refus d’être « instrumentalisés au profit d’un discours visant à stigmatiser la jeunesse de Seine-Saint-Denis ». Pour calmer le jeu, la rectrice Béatrice Gilles, également présente avec son cabinet et un inspecteur de l’Académie, a jugé dans la foulée qu’il s’agissait d’un « non-incident », cet outrage manifeste à des élus restant somme toute « isolé » : des visites similaires déjà organisées à Pantin et au Kremlin-Bicêtre, a-t-elle précisé, « ont permis de poursuivre le travail engagé sur la grande mobilisation de l’école pour les valeurs de la République ».
Chic alors, tous les territoires ne sont pas encore perdus.
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