Il est l’heure d’aller dormir. Agenouillé au pied du lit, la tête inclinée, les mains jointes, jemurmure à voix basse ma prière. J’ai dix ans. Après un bref recensement des fautes du jour,j’adresse à Dieu, notre Créateur tout-puissant, une requête. Il sait comme je suis assidu à la messe, empressé à la communion, comme je L’aime par-dessus tout. Je Lui demandesimplement, je L’abjure de provoquer la mort de mon père, si possible en voiture. Un frein quilâche dans une descente, une plaque de verglas, un platane, ce qui Lui conviendra.
« Mon Dieu, je vous laisse le choix de l’accident, faites que mon père se tue. »
Ma mère arrive pour me border et me lire une histoire. Elle me regarde avec tendresse. Je redouble de ferveur, je fais le pieux. Je ferme les yeux, dis en moi-même :
« Mon Dieu, je vous laisse, Maman vient d’entrer dans ma chambre. »
Pascal Bruckner, Un bon fils